Quelle est votre définition de la « photo de rue » ?
C’est saisir des instants de vie, des moments anecdotiques, drôles parfois. J’aime prendre en photo des inconnus dans la rue, des passants, qui bien souvent ne se rendront même pas compte que je viens de les photographier.
J’aime ressentir ce frisson que Cartier-Bresson nommait « l’instant décisif », ce moment où l’on va immortaliser une scène. Alors qu’en fait, s’il n’y avait pas eu une photo, jamais on n’aurait conservé une trace d’une scène de vie ayant duré très peu de temps et qui serait passée totalement inaperçue.
Certains photographes pratiquent la photo en ville en se focalisant uniquement sur l’architecture, sans aucune présence humaine. Personnellement, je préfère celles où les personnes se déplacent dans l’environnement urbain. Pour autant, je me refuse de faire des images où l’on voit des gens que la vie a maltraité, où ils ne sont pas à leur avantage, où ils donnent d’eux une image négative. Je n’ai pas envie de montrer ces moment-là, même si je suis consciente que, malheureusement, c’est aussi la dure réalité de notre quotidien.
Quel est l’homme d’image qui vous inspire ?
Les grands photographes humanistes comme Cartier-Bresson et Willy Ronis. Mais aussi le photoreporter Eric Bouvet que j’ai eu la chance de rencontrer. Un photographe qui montre à travers ses images pleines d’humanité, la vie telle qu’elle est.
La qualité nécessaire pour être un bon photographe de rue ?
Oser regarder les gens et savoir observer ce qui se passe autour de soi.
Le secret de l’image parfaite si elle existe ?
Il n’y a pas d’image parfaite, il y a de bonnes photos. Et pour moi, cela passe par une bonne composition à la prise de vue.
L’image que vous auriez aimé faire ?
Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, j’ai suivi la manifestation populaire à la télévision. J’aurais voulu être à Paris, au milieu de cette foule immense et pouvoir immortaliser ces visages, ces expressions. C’est sans doute là que j’ai compris à quel point j’avais besoin d’une présence humaine dans mes images.
Vous animez régulièrement des stages de photo de rue dans de grandes capitales. Pourquoi ?
Pour la transmission des savoirs, bien entendu. C’est la base de mon métier d’enseignante. Mon souhait est de partager ma passion pour ce genre de photo, d’essayer de faire prendre à mes élèves autant de plaisir que j’en ai lorsque je fais de la photo de rue. Leur faire découvrir aussi la difficulté de ce type de prises de vues et leur donner quelques astuces pour les faire progresser dans leur pratique.
Une question existentielle : Dieu se tient en face de vous ! Vous lui demandez de poser pour vous ou vous faites un selfie avec lui ?
Je lui demanderais de poser pour moi.
Quelle est l’image qui représente l’état du monde actuel ?
Je vois un pays en guerre, des gens malheureux parce qu’ils ont perdu des proches, qu’ils ont faim, ou parce qu’ils sont malades. Je vois aussi la nature qui se dégrade à cause de l’homme. Et beaucoup de déchets. C’est une vision un peu pessimiste du monde actuel. Et j’espère qu’il y a un petit coin de ciel bleu sur cette photo qui vient colorer cette vision négative.
Votre principale source de motivation ?
Aller faire des photos. Etre dans une grande ville, seule. Partir avec mon appareil photo, ne pas avoir de plans en tête. Marcher au gré de mes envies, regarder autour de moi et photographier quand l’envie m’en prend.
En guise de conclusion ?
J’aimerais préciser que lorsque je fais des photos, elles ne sont jamais posées, dans le sens où je ne demande pas à quelqu’un de « jouer une scène » pour moi. Mes photos sont toujours des instants « volés », même si le terme peut sembler un peu négatif.
J’apprécie les photos en studio où il y a énormément de temps de préparation, mais je sais que c’est quelque chose qui ne me convient pas du tout. Ce que j’aime dans la photographie, c’est lorsqu’un instant fugace survient sous mes yeux, que je déclenche, et où je me dis « ce que j’ai vu, ce que j’ai imaginé par rapport à la situation, est-ce que c’est bien cela que je vais retranscrire ? ». Parfois, je suis déçue parce que j’ai déclenché trop tard. Ou trop tôt. Ou parce qu’il ne se passe pas ce que j’avais imaginé. Et de temps à autre, une image surclasse toute les autres. Mais lorsque l’on pratique la photo de rue, il faut accepter de rater un nombre incalculable de prises de vues. C’est le jeu. Et comme disait Robert Doisneau : « Si je ne savais faire que de bonnes photos, je le ferais… ».