Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Patrick Urbani : En 1984, à l’époque de l’argentique, j’ai commencé à réaliser mes premières photos. Malheureusement, après 2 ou 3 ans de pratique trop ponctuelle, cette passion est mise en réserve.
Une vingtaine d'années plus tard, la vague du numérique m’a permis de redécouvrir cet art avec beaucoup de plaisir. Cet engouement pour la photographie s'intensifie au fur et à mesure en abordant de nombreux thèmes : le portrait, les concerts, les instants de la vie, l'architecture, le graphisme et surtout l'urbex depuis 2018.
En parallèle, en 2016, j’ai abordé le cinéma par la réalisation d’un premier court métrage. Un second film est en cours de production.
Estelle Urbani : Estelle, 23 ans, fille de Patrick. Étudiante la semaine, je suis exploratrice urbaine le week-end. J’ai découvert la pratique de l’urbex en 2017, lors d’une visite d’un ancien manoir à l’abandon avec un groupe d’amis. Par la suite, intriguée par ces endroits et désireuse d’aventures, j’ai recherché d’autres lieux abandonnés à explorer : cinq ans plus tard, j’ai parcouru une partie de l’Europe, de l’Italie à la Belgique, en passant par l’Allemagne et la Tchéquie.
La passion de la photographie m’est venue à travers mon père. Depuis mon enfance, j’ai souvenir de l’avoir toujours vu avec un appareil photo entre les mains, prêt à déclencher. En 2020, j’ai hérité de son boîtier : mon premier vrai appareil photo. Passant du petit écran de mon téléphone à l’œil dans le viseur, j’ai pu m’initier aux différents aspects de la photographie et de sa technique.
Pouvez-vous nous définir cette pratique photo qu’est l’URBEX ?
Apparu dans les années 90, l’urbex est la contraction de deux termes anglais, “urban” et “exploration”, qui signifient exploration urbaine.
Pour nous, la pratique de l’urbex consiste à visiter des lieux créés et aménagés par l’Homme qui ont ensuite été abandonnés, repris par la nature. À travers nos nombreux road trip, en France et à l’étranger, nous avons ainsi exploré une diversité de lieux délaissés : demeures, friches industrielles, hôpitaux, cinémas, mines, cimetières de voitures… La finalité de nos explorations est de capturer en images nos découvertes ainsi que la beauté de ces endroits, souvent voués à disparaître.
Qu’est-ce qui vous attire dans la découverte de lieux abandonnés ?
Patrick : Dans un premier temps, avant d’appuyer sur le déclencheur, découvrir le lieu, essayer de comprendre son histoire et ressentir une réelle émotion qui s’y dégage. Après cette première phase et l’observation de la lumière présente, là, je commence à percevoir des sujets à immortaliser sur le capteur : des ambiances particulières, des couleurs singulières et des objets respirant encore une forme de vie. Photographiquement parlant, chaque lieu est unique à la fois bien sûr par le cadre mais surtout par la lumière ce qui vous oblige chaque fois à reconsidérer son approche technique dans la prise de vue.
Estelle : Pour moi, explorer un lieu abandonné c’est entrer dans une histoire, une bulle temporelle : chaque endroit est unique. Qu’il soit détérioré depuis de nombreuses années ou récemment laissé pour compte, se mêle une part d’aventure et une forme de curiosité lors de mes explorations.
Ce que j’aime tout particulièrement en découvrant des lieux abandonnés, c’est la possibilité que je m’offre de pouvoir explorer, voir même infiltrer, des endroits hors du communs et parfois surréalistes. D’une salle des turbines à un gazomètre, en passant par un bunker antiatomique de l’OTAN ou encore un auditorium de l’époque de l’URSS, je garde des souvenirs exceptionnels de la visite de tous ces lieux si rares et singuliers.
Comment préparez-vous vos expéditions pour une sortie URBEX ?
Une sortie photo urbex nécessite un certain temps de préparation en amont. Au-delà des aspects purement matériels (recharge des batteries, tenue adaptée, équipements...) il faut préparer le terrain. En effet, une bonne partie de la pratique consiste à passer de nombreuses heures à rechercher des adresses de lieux abandonnés. Afin de les protéger, les adresses ne sont pas partagées par les explorateurs. Ainsi, l’exercice peut se transformer en une véritable chasse au trésor. En réalité, la plupart du temps de recherche se résume à se balader sur Google Earth, en vue satellite ou en street view, pour noter des points, repérer d’éventuels accès.
Lors de nos sorties urbex, nous prévoyons généralement plusieurs « spots » à faire dans la journée. Bien qu’abandonnés, certains lieux demeurent intacts mais pour autant d’autres sont en permanente évolution : accès refermés, démolition, reconversion… C’est pourquoi il est important de se renseigner avant de partir à l’aventure, afin d’éviter tout désagrément.
Une fois sur place, la discrétion est de mise et une rigoureuse préparation permet de se faufiler aisément à l’intérieur des lieux laissés à l’abandon.
Comment vous est venue cette idée de faire une expo commune ?
Depuis de nombreuses années, nous partageons cette passion d’explorer des lieux abandonnés et de ramener des clichés. Toutefois nos deux styles photographiques, très personnels notamment dû à l’utilisation de focales différentes, fait que nous avons tous les deux un regard différent, nos photographies racontant chacune des histoires uniques. En réalité, nos images se complètent : réaliser cette exposition en duo permet d’offrir une vision large et intime de ces usines, ces châteaux, ces hôpitaux...
Quel type de matériel utilisez-vous ?
Nous sommes tous les deux des adeptes de Fujifilm.
Patrick : J'utilise le Fuji X Pro3 et le mythique Fuji 35mm f1.4, un objectif adulé par de nombreux photographes et moi-même.
Estelle : Pour ma part, je suis actuellement équipée du Fuji X-H1. Pour réaliser mes clichés au grand angle, je l’ai doté d’un objectif Fujinon XF 10-24 mm f4. J’utilise également un drone, le Mavic Mini de chez DJI, pour réaliser certaines prises de vue en hauteur.
Quelles qualités la photographie d’URBEX requiert t’elle ?
Énormément d’observation avant de shooter, surtout pour bien dompter la lumière, souvent complexe à gérer. Et bien évidemment, réfléchir à ce que je veux montrer, ce que je veux raconter d’où l’importance de soigner son cadrage.
Par ailleurs, dans l’élan des prises de vue, il faut toujours garder cet esprit de sécurité ; on est tellement dans notre trip visuel qu’on pourrait être se faire piéger (sol trop délabré, éléments pouvant vous blesser...)
Quelle image auriez-vous aimé faire ?
Patrick : Encore et toujours des images du Manicomio Di R, un lieu si fascinant dont la lumière change en permanence d’une minute à l’autre. J’aurai dû y rester plus longtemps lorsque j’y suis allé deux fois … je devrai peut-être y retourner mais malheureusement certaines parties de ce lieu mythique sont sujet à des dégradations.
Estelle : Au Kazakhstan, deux navettes spatiales et un booster reposent dans des hangars d’un ancien cosmodrome de Baïkonour. Abandonnés depuis les années 90, une marche de plus de 50km dans le désert est nécessaire pour les atteindre. L’aventure est risquée car le site est surveillé par des militaires. Je rêve de voir de mes propres yeux ces petites merveilles aérospatiales mais un tel périple me semble inatteignable. Si un jour je réussis ce voyage sous les étoiles, je pourrais dire que j’ai décroché la Lune.
Quels conseils donneriez-vous à un photographe qui voudrait s’initier à la photographie URBEX ?
Déjà disposer de beaucoup de temps et de patience pour dénicher ces lieux. Ce n’est pas si simple, il n’y a pas un carnet d’adresses tout fait et visible sur le net et sauf si vous établissez une réelle confiance avec un photographe expérimenté, il vous sera difficile d’obtenir telle adresse ou autre, en particulier sur des spots très intéressants.
Comme souligné avant, une préparation en amont est nécessaire et sur place, être toujours très prudent. L’état de ces lieux est parfois très dangereux, ne pas prendre de risque inutile. D’ailleurs, si possible, y aller à minima à deux personnes en cas d’accident ou laisser ses coordonnées à son entourage.
Sur le plan purement photographique, en apparence, on pourrait croire que l’urbex est une thématique facile en pensant que c’est du simple reportage. Non, encore une fois, au-delà de la maîtrise de la lumière, il faut réfléchir à sa composition. C’est pour cette raison, lorsqu’on arrive à un tel lieu, ne pas faire tout de suite des photos, d’abord : déambulez, observez, imprégnez-vous du cadre.
Avez-vous un site internet ou l’on pourra retrouver vos photos ?
Patrick : www.emotionsphoto.com et https://www.instagram.com/patrick.urbani/
Estelle :
wordpress : https://lostgrounds.wordpress.com/
flickr : https://www.flickr.com/people/193567775@N06/
instagram : https://www.instagram.com/lostgrounds/