Zoom sur... En attendant Rodin (Mars 2020)

Une plongée dans l'univers de Camille Claudel, voici ce que nous propose "A l'Entrée de l'Estuaire", un photographe dijonnais passionné pour la vie de cette artiste au destin tragique. 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Mon pseudo est « A l’entrée de l’estuaire ». J’ai toujours eu un peu de mal à me présenter, à part dire quelques banalités : homme de 50 ans, cheveux bruns, yeux marron, photographe amateur vivant à Dijon. Le reste se trouve, en fait, dans mes images et mes écrits.

Quand et pourquoi avez-vous commencé à photographier ? Et avec quel appareil ? 

J’ai commencé dès l’âge de 10 ans avec un Viva 126, boitier en plastique et pellicules à cassette. J’en ai retrouvé un dans son jus à la Foire Internationale de la Photographie à Bièvres (91) en juin 2019…quelle émotion, vraiment ! Sinon, j’ai sérieusement travaillé le sujet argentique en développant moi-même mes images dès l’âge de 20 ans et en utilisant pour la prise de vue, un reflex Canon AE1 Program. Un bel appareil pour débuter à cette époque.

Pourquoi avoir choisi la photographie pour vous exprimer ?

J’ai choisi la photographie parce que je ne sais pas dessiner ou peindre. C’est clair. Il me fallait alors un moyen d’expression abordable techniquement. Parce que je sentais déjà ce besoin de créer mais sans savoir pourquoi, ni pour aller où. 

Comment définiriez-vous votre pratique ? 

Elle est construite à la prise de vue, au sens où j’écris mes images avant de les réaliser avec mes modèles. Aléatoire en ce qui concerne mon workflow de post-production (je ne travaille que du numérique désormais). J’utilise de multiples outils qui font une image finale dont je suis bien incapable souvent de refaire à l’identique. C’est intuitif. J’alterne entre mon PC, avec 4 à 5 logiciels parfois sur la même image, et mon smartphone où je peux la finaliser avec des outils que l’on trouve qu’en mode appli. Donc l’approche du traitement n’est absolument pas conventionnelle mais ça me va ! Je travaille essentiellement la couleur et je peux passer plusieurs heures sur une image jusqu’à temps de trouver la colorimétrie adaptée et la texture qui me convienne le mieux.

Qu'est-ce que vous apporte l'acte photographique ?

Un moment de rencontre, avec les gens ou bien la nature. Avec un instant particulier du jour ou de la nuit, d’un endroit vécu. De ma vie d’homme aussi. Une délivrance, voire un accouchement douloureux. Mon travail est un réel parcours de photothérapie que je revendique sans tabou. C’est un voyage au long cours. L’image ne suffit plus à elle-même. Je la complète alors avec mes mots. Je pense que 99 % de mes images contiennent un titre, un poème, un écrit. Pour le moment et depuis 10 ans, je ne sais pas les dissocier au point qu’un jour, une belle amie romancière, qui n’a plus rien à prouver après 70 ans d’écriture, m’a dit : « Franck, il te faudra choisir un jour entre la photographie et l’écriture pour avancer sur des projets complètement finalisés ». Car je traine sur l’écriture d’un roman depuis 2013, en écrivant une page par-ci, une page par-là, ainsi que sur une pièce de théâtre. Je crois qu’elle a raison sur la méthodologie. En outre, je pense qu’elle ne sait pas à quel point serait ma peine aujourd’hui d’en laisser un sur le trottoir de l’oubli pour faire grandir l’autre. Je n’y arrive pas. Peut-être un jour, quand je penserai avoir tout dit, je laisserai alors une image sans mot ni voix off. Peut-être arrêterai-je alors la photographie au profit exclusif de la vertu de la plume mouillée d’encre noire.

Avez-vous d’autres sources d’inspiration que l’art photographique ? 

L’écriture comme on l’a vu plus haut et la poésie qui tient une grande place dans mon regard sur le monde et l’apaise. Mais parlons peut-être plus des thèmes qui m’inspirent et qui reviennent sans cesse dans mon travail photographique ou d’écriture : le féminin inexplicable et mystérieux que je tente de déchiffrer (j’ai sept sœurs et je suis le seul garçon de la fratrie), le temps qui passe au concept mathématique étonnant dans son élasticité, Ouessant mon île du bout du monde que j’adore, la folie que j’ai côtoyée de très près à plusieurs reprises familialement, le suicide pour sa question philosophique ultime qu’elle pose selon Camus, l’abandon et nos relations aux autres, l’océan que j’aime naviguer ou explorer tout au fond, la beauté du monde jusqu’à son bord et la misère de notre condition humaine chère à Camus, un de mes mentors avec Hugo, Marie Curie et… Camille Claudel. Ma Camille, symbole tellement puissant et contemporain de la tragédie humaine.

Quel regard portez-vous sur l’art en général et sur la photographie ? 

J’aimerais alors citer Camille et reprendre ses mots simples « Mon grand désir, mon idéal, est de mettre dans les formes que je tire de la pâte, une idée ». J’ajouterais volontiers « une émotion, l’écriture d’un chemin intérieur et la promesse d’un printemps ensoleillé». La photographie n’est pour moi, qu’un support comme un autre pour dire des choses avec de la matière inerte. Oui, c’est ça. J’ai des choses à raconter, plus qu’à photographier. En ce sens, je me sens parfois un usurpateur d’identité : je ne suis pas photographe mais juste un bricoleur peu doué avec ses deux mains et qui mixe photos, vidéos, écriture, musique et voix off sur certains projets.

Quel grand maître de la photographie admirez-vous le plus ?

A vrai dire, je n’ai pas de culture photographique. Mais j’aime des approches humanistes qui me touchent. Celles de Salgado et son travail témoignage pour l’humanité entière. Celle de Gilles CARON et la force de ses images de la guerre, laissées en héritage après sa disparition en 1970 au Cambodge (des pensées amicales en passant pour son épouse Marianne que j’apprécie énormément). Et puis pour tous ces photographes de l’ombre qui font des choses incroyables, chacun dans leur sphère émotionnelle. Alors je pense à mes amies S.ofF.LINE sur Flickr, Instagram et Facebook ou bien Carré Rouge. Des images d’un féminin incroyablement poétique et magnifique… que seules, peut-être, des femmes peuvent réellement offrir en partage. J’ai essayé. Je n’arrive pas à leurs chevilles. Alors, je recommence sans cesse.

Quel est l’avenir de la photographie, selon vous ? 

Radieux pour les cœurs enjoués et créateurs. Compliqué pour les professionnels qui doivent en vivre avec, en face de leur studio, une concurrence sauvage, féroce des amateurs…qui savent de mieux en mieux faire aussi de la qualité photographique et artistique. Technologique : il reste encore tellement de champs à prospecter pour la rendre plus confortable et créatrice (comme la mise au point en post-production par exemple). Ancestrale pour ceux qui veulent revenir aux premiers outils photographiques. C’est d’ailleurs là, le chemin que je veux arpenter dans les années qui viennent: tirer sur des plaques de verre et voir à travers, l’éphémère et l’unique moment avant que le temps se tire ailleurs.

Votre exposition est intitulée « en attendant Rodin ». Pouvez-vous nous en dire plus ? 

C’est le sujet principal de l’exposition. En sachant qu’il y aura également une autre série intitulée « Juste la fin du monde ». Ce sont des photographies en noir et blanc, dures et contrastées, pour parler de notre condition humaine, le mensonge d’une promesse d’un monde meilleur mais aussi l’espoir d’une lumière toujours présente qu’il faudra trouver et lire avec une loupe dans un endroit donné de l’exposition. Je n’en dis pas plus : venez chercher cette dernière image en couleur et lire son message porté.

Concernant « En attendant Rodin »… que dire de Camille CLAUDEL qui ne soit pas trop réducteur. Elle porte pour moi le symbole de la tragédie humaine : une artiste hors norme, belle et jeune, amoureuse d’un amour qui ne viendra finalement pas, le deuil de cela et sans doute, de ses enfants avortés, la maladie et l’enfermement psychiatrique pendant trente ans. La faim et le froid en 1943 auront raison d’une merveille de la création, comme 800 autres pensionnaires de l’asile de Montfavet, à Avignon. Alors, Camille accueille en elle toute l’émotion des choses et des gens que j’aime raconter en images et en mots. D’ailleurs, je me suis permis le luxe d’inventer de fausses correspondances, comme si sa centaine de lettres ne suffisait pas… car Camille écrivait beaucoup en plus de savoir sculpter ou modeler, avec des tournures de phrases parfois magnifiques à la clé.

Pour l’anecdote, en fait, c’est une de mes modèles, Pauline Ja Painting, avec qui j’ai travaillée à de multiples reprises, qui m’a appelé un jour pour me dire « Franck, tu pourrais me tirer le portrait à la Camile CLAUDEL, le fameux portrait que l’on voit partout ? ». « Ben, oui… si tu savais mon plaisir, Pauline ! Je te raconterai pourquoi… Allez, viens !  Mais il nous faudrait des habits de l’époque ». Nous avons questionné une costumière, Nelly GRAILLOT de Dijon, avec qui nous collaborons de temps en temps : bingo ! Nous avons récupéré de véritables vêtements du début du 20ième siècle… y avait plus qu’à. Pauline était devenue Camille dans mon studio pour mon plus grand bonheur artistique et pour bien plus que cela.

Quelles ont été les principales difficultés liées à cette série artistique ?

Aucune difficulté sur cette série : nous avons bouclé tout en 2 heures dans mon atelier, sans savoir que nous ne ferions pas, finalement, ce portrait désiré du départ…. mais une série racontant la vie de Camille CLAUDEL en trois actes : l’attente de l’amour plein et entier de Rodin, amour qui ne viendra pas, le deuil de cela puis la folie de Camille qui s’installera jusqu’à sa mort en 1943. Son œuvre est courte mais notre mémoire bienveillante à son égard est durable.

Avant de porter l'appareil photo à votre œil, avez-vous déjà imaginé le cadrage de la photo ? 

Oui, comme je l’explique plus haut, en général, pour une session de travail avec un modèle, je ne laisse rien au hasard, y compris mon angle de prise de vue sur certaines images. Une fois cela fait, l’improvisation prend le pas mais je me sens rassuré…. Et bien souvent, ce n’est pas l’image initiale qui sera retenue. Le mouvement, l’aléatoire ou l’imprévu ont du bon dans la création.

Comment choisissez-vous vos images lors de l'éditing sur l'ordinateur ? 

Classiquement selon l’histoire à raconter. Il se peut qu’une image donnée, pourtant sympa à mes yeux, sorte de la série pour laisser la place à une moins bonne mais dans l’esprit du scénario à raconter. J’ai fait le choix ici de 9 à 10 images maximum qui seront tirées en format carré d’un mètre sur un mètre pour « En attendant Rodin » et une trentaine sur « Juste la fin du monde ».

Pour vous, l'appareil photo est un outil ou un instrument ? 

Question piège ? Clairement un outil comme peut l’être mon clavier pour écrire sur mes images. Et ma foi, également un instrument de musique quand l’ensemble sonne bien…

Quel matériel utilisez-vous ? 

Plusieurs reflex de plusieurs marques selon mes besoins, un moment sur le grand format numérique, un autre sur le télémétrique pour le plaisir du manuel. Des Pola aussi de temps en temps. Mais celui qui ne me quitte jamais, c’est mon téléphone dans ma poche et mes outils de traitement d’images dessus. On fait des merveilles désormais avec cela et avec un peu d’expérience dans le cadrage et la manipulation de quelques applis. J’ai d’ailleurs fait un jour une expo entière avec des photos de la sorte…  pour montrer que l’on n’a pas besoin d’investir dans du matériel de fou pour exprimer des choses à dire, y compris dans le nu artistique.

Quels sont vos 2 objectifs préférés ? 

Le standard de 50 mn et des courtes focales type 18-24 mn pour rentrer dans le sujet.

Focales fixes ou zoom ? Pourquoi ce choix ? 

Les deux selon les besoins du rendu. Je fais pas mal de courts métrages vidéo également (à voir sur ma chaîne Dailymotion).  Dans ce cas-là, certains zooms deviennent alors très utiles.

Avez-vous un accessoire qui vous est particulièrement utile dans votre approche photographique ?

Des robes blanches et particulièrement une parmi les autres, très présente dans de nombreuses images. Sans doute à voir en mai à Audincourt…mais je n’en dis pas plus pour le moment !

Quels conseils donneriez-vous à un photographe débutant ? 

Ne vous embêtez donc pas trop avec la technique pour débuter et laisser les choses se faire naturellement. La technique, nécessaire ensuite, viendra tranquillement. C’est comme pour apprendre le piano quand on n’a pas commencé dès l’âge de 8 ans : le solfège viendra après… dans le désordre mais avec le plaisir de jouer avant tout autre chose. Enfin, un deuxième conseil : arrêtez de croire que plus l’objectif est gros et plus l’appareil est complexe que vous réaliserez de belles images. Avec une boîte à chaussures en mode sténopé, on peut faire des choses poétiquement merveilleuses et surprenantes.

Avez-vous un site internet, une page Facebook, ou autre ? 

Je n’ai plus vraiment de site Internet car j’ai changé quatre fois de pseudo durant mon voyage photographique en 10 ans…c’est donc compliqué. Il en existe un mais reste confidentiel et incomplet. Sans doute qu’un jour, je ferai la synthèse de ce parcours sur un site dédié. Sinon, on me trouvera sur Instagram, Facebook et depuis peu sur 500 px.

Un petit mot pour vos lecteurs et futurs visiteurs ? 

Peut-être, parlons moins de photographie et plus d’émotions et d’histoires de vie quand vous viendrez éventuellement à ces deux expositions sur le même lieu. N’oubliez pas que la photographie m’intéresse assez peu au final (je sens que les organisateurs vont être heureux de me lire ici … )

 

Abécédaire :

Nous avons demandé à l'artiste de nous donner une définition pour chacune des lettres composant son pseudo :

A comme Albireo (au Cygne Clair) … un de mes anciens pseudos

 

L comme Lointain parce le voyage et encore le voyage

 

E comme Equilibre parce que tout concourt, in fine, à cela

N comme Nudité parce que c’est beau de se mettre à nu

T comme trop Tard ou trop tôt parce que je ne suis jamais à l’heure

R comme Résilience parce que sinon, tu meurs

E comme Etoile car je passe du temps à regarder le ciel

E comme Energie parce que nous sommes mouvement

 

D comme Doute parce que je déteste les certitudes

E comme Etre parce que c’est un long et beau voyage 

 

L comme Lueur parce que je crois toujours en elle, même dans le noir le plus total

 

E comme Espoir parce que je crois toujours au meilleur

S comme Silence parce que j’aime tellement la solitude

T comme le Temps parce qu’il est très présent dans mon travail artistique

U comme « Dans la Chambre de l’Univers », un de mes anciens pseudos 

A comme « Avec deux Ailes » parce qu’un de mes anciens pseudos également

I comme l’Inavouable qu’il nous faudra pourtant dire à nous-même pour être un jour

R comme la Route qu’il nous reste à construire plutôt qu’à suivre

E comme E=mc² … où tout est dans tout dans cette équation presque ultime et poétique qui contient l’Univers entier