Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Emanuele Serraino, je suis né le 3 avril 1986, à Rome où je vis actuellement.
Après des études en lettres classiques, j’ai obtenu une licence en sciences de l’Architecture et de la Ville à l’université Valle Giulia de Rome.
Ensuite, alors que je poursuivais une spécialisation en Restauration, j’ai réalisé que ce n'était pas ma voie et j'ai choisi de mettre un terme à ce parcours.
Quand et pourquoi avez-vous commencé à photographier ? Et avec quel appareil ?
J'ai perdu environ un an et demi, consacrant mon temps à des activités insignifiantes, mais utiles pour créer ce vide en moi, transformé en un espace nécessaire pour que la photographie puisse accéder librement à ma vie.
Heureusement, le 13 juin 2012, l'un de mes frères a offert à ma mère pour son anniversaire, un Canon 1100d dont je suis immédiatement tombé amoureux.
J'en ai pris possession et j'ai lentement commencé à prendre les premières photos et à étudier le fonctionnement de l'ouverture, de la vitesse d'obturation, de l'ISO et des distances focales.
C'est ainsi, apparemment par hasard, que j'ai commencé à m'intéresser à la photographie et à réaliser des photos.
Pourquoi avoir choisi la photographie pour vous exprimer ?
Je ne suis pas un type très loquace et je n'ai jamais aimé écrire. Cependant, j'ai toujours aimé, dès mon plus jeune âge, dessiner et utiliser des pinceaux et des aquarelles et inventer des objets à partir de rien ; ma famille me rappelle toujours que très tôt, à la question "Que veux-tu faire quand tu seras grand ?", j'ai toujours répondu "inventeur".
En grandissant, j'ai perdu cette idée, peut-être à cause des premières obligations scolaires et des études classiques supérieures.
Ce n’est pas un hasard si pour essayer de la retrouver, j’ai décidé d’étudier l’architecture, mais, sentant ma créativité bloquée de toute façon, ce besoin interne que j’étouffais, comme je l’ai déjà mentionné, je n’ai pas achevé le deuxième cycle.
La photographie m'a donné une seconde chance. C'est comme si, j’étais né à nouveau à 26 ans, et que mes yeux avaient commencé à voir pour la première fois.
J'ai probablement dû retrouver ma vraie nature, renforcée par un intérêt nouveau et continu pour tout ce qui est merveilleux et extraordinaire et que je ne pouvais pas voir auparavant.
Cette nouvelle observation du monde environnant, au fil du temps, me conduit progressivement à une connaissance plus profonde de moi-même, d’une intériorité qui m’était auparavant inconnue.
Alors à la question "Pourquoi as-tu choisi la photographie pour t'exprimer?", je pourrais répondre que j'ai découvert le moyen de me découvrir, puis de raconter mon expérience spirituelle personnelle à travers chaque photo : transcrire mes sentiments dans une image et donc mon idée, de toute façon influencée par mon expérience et progressivement conditionnée par l'expérience photographique accumulée elle-même ; en ce sens que la photographie elle-même est devenue et devienne vécue en contribuant progressivement au récit de ce que je vois.
- Comment définiriez-vous votre pratique ?
Je me promène beaucoup à Rome, pas nécessairement avec du matériel photographique et je me suis rendu compte qu'en marchant, nous pouvons saisir beaucoup plus d'aspects de la ville : les gens qui y vivent, les animaux, les parfums, les ambiances, les couleurs, etc. Il m’a falllu du temps pour comprendre.
Les premières années, je me déplaçais toujours en voiture, je photographiais selon les points de vue les plus classiques et les plus connus avec pour seul objectif de capturer une bonne lumière ou un moment mémorable; non que la lumière n’ait pas d’importance, je la cherche en effet toujours de manière obsessionnelle, c’est mon vrai guide.
Je veux dire, cependant, que bien que je sois romain, j’ai au départ considéré la ville comme un simple touriste.
Au fil du temps, mes intérêts ont changés et mûris, je me suis lancé dans une recherche de plus en plus personnelle qui, année après année, m'a permis de vivre Rome différemment et de la ressentir davantage.
Cependant, je ne renie pas ma "photo-carte postale" initiale, premier jalon du chemin en cours, utile pour comprendre ce que je suis et ce que je recherche vraiment.
J'ai alors cherché, trouvé et découvre encore de nouvelles perspectives, qui étaient là, sont là, devant mes yeux, mais que je n'avais pas remarquées car je ne poursuivais pas encore l’idée, qui pourtant, germait en moi, sans que je lui donne de l’espace, la contraignant à de banals sursauts.
Heureusement, cette pression a brisé mon opposition inconsciente et m'a permis de prendre des photos plus fidèles à ma vie intérieure et à ma vision personnelle de la ville.
Cette longue introduction vise à expliquer pourquoi je définis ma pratique comme une recherche, suivie de l’observation et de la connaissance des lieux, une recherche plus sensible et accomplie à Rome, où, en photographiant, je ressens des émotions et des sentiments plus profonds. Ailleurs, c’est moins facile, surtout lorsqu’on visite un lieu pour la première fois.
Par exemple, je suis allé deux fois à Paris, et sur les photos prises lors de mon deuxième voyage, je pense avoir capturé des aspects et des nuances qui représentent mieux l'idée que je me suis faite de la ville et je pense que je ferai encore mieux en y retournant plusieurs fois.
- Qu'est-ce que vous apporte l'acte photographique ?
L'acte photographique me donne l'occasion de vivre des expériences exceptionnelles, il me permet d'assister à des scènes que je considère comme de véritables cadeaux du ciel.
Il y a des jours où je sors photographier et j'ai la chance de capturer des moments que je pourrais difficilement décrire avec des mots.
En revanche, à travers la photo, je tente de représenter ces instants qui me sont offerts : invasions de joie, nourriture de l'âme.
Pour moi, c'est tout ce qui compte, m’émouvoir face aux merveilles du ciel, la plus grande récompense à laquelle je puisse aspirer et qui a donné et donne un sens complètement nouveau à ma vie et à sa valeur réelle.
Avez-vous d’autres sources d’inspiration que l’art photographique ?
J'aime considérer mes photographies comme des peintures et la peinture est certainement une source d'inspiration pour moi.
Je suis particulièrement fasciné par l'étude de la lumière et de l'ombre par les peintres dans cet art.
La lumière, protagoniste indispensable dont dépend l'ombre, plus l’ombre est présente plus elle fait ressortir la lumière elle-même.
Ce dialogue influence également les couleurs de la peinture en la divisant en zones caractérisées par des tons plus chauds et plus froids.
En photographiant, je vais souvent à la recherche de scènes dans lesquelles la relation entre les deux éléments (lumière et ombre) est clairement évidente, ce qui pour moi est fondamental afin d’atteindre la tridimensionnalité finale de l'image.
Le cinéma et le théâtre sont deux autres sources d'inspiration.
Au cinéma, je suis principalement fasciné par le cadrage, les focales utilisées et les diaphragmes ouverts, grâce auxquels le directeur de la photographie met en valeur le sujet principal, laissant tout le reste flou dans le cadre.
J'adore l'atmosphère magique créée par les splendides décors du théâtre, habilement éclairés par les points lumineux.
Premier amour évidemment, répudié seulement dans les apparences, l’architecture est une autre source d’inspiration dont je profite quotidiennement, photographiant souvent ses paysages, à l’affûtde figures humaines, pour donner un véritable sens de l’échelle image.
Quel regard portez-vous sur l’art en général et sur la photographie ?
Pour moi, l'art est une forme d'expression qui n'est pas une fin en soi.
Je pense que l'artiste dans chacune de ses créations donne une partie de lui-même, transmettant les expériences vécues jusqu'au moment où l'œuvre sera terminée.
Tout travail accompli au cours de sa vie sera donc différent du précédent car il sera enrichi d'expériences nouvelles.
Je pense qu'il est important pour l'artiste de se confronter aux autres artistes, d'examiner leurs représentations en tant que ressources d'apprentissage et d'inspiration, pour apprendre, améliorer et perfectionner les techniques d'exécution et pas seulement celles-ci.
Je crois donc que l’art véritable naît d’un examen intérieur continu et profond, c’est-à-dire qu’il est déjà en nous et que, lorsqu’il sera mis au jour, il sera unique et irremplaçable, chaque homme étant et pensant différement d’un autre.
Quel grand maître de la photographie admirez-vous le plus ?
Je pense à un peintre, Le Caravage, précurseur de la photographie, il utilisait un studio avec un trou dans le plafond à partir duquel la lumière filtrait, comme un énorme appareil photo.
Je suis fasciné par l'importance vitale que l'artiste donnait à la lumière dans ses magistraux clairs-obscurs.
Il a peint des moments si extraordinairement énergiques et dramatiques, ayant choisi de représenter ses scènes dans des atmosphères très sombres.
Je suis attiré par la forte directionalité de ses peintures où le point de lumière, immédiatement reconnaissable, guide l'œil de l'observateur où l'artiste veut aller afin que le spectateur lui-même sache toujours où regarder sans se perdre dans rien d'autre.